Vermittlung Magazin

Le monde opératique de Peter Eötvös

Restructuration, mythologies personnelles

ESSAY
Krisztina Megyeri

Piano and composition at Bartók Béla Conservatory, Composition (MA) at the Ferenc Liszt Music Academy, Budapest (2004). MA holder in Musicology of the Université Paris-VIII Saint-Denis (2006, MA Thesis) on Peter Eötvös’s opera: Angels in America. She became a DMA in Composition of the Ferenc Liszt Music Academy (DMA Thesis: Dramaturgy of Eötvös’s opera: Love and Other Demons). Between 2009-12 Krisztina was a lecturer at the Faculty of Music of University of Pécs (PTE), from 2013 she is a teacher of Kodály Zoltán International Institute of Music Kecskemét.

 

Le 23 novembre 2004: création d’Angels in America à Paris, avec le compositeur à la direction1;le livret de l’opéra était conçu par Mari Mezei et Peter Eötvös d’après la pièce éponyme de Tony Kushner, un des auteurs-phares du théâtre contemporain américain l’événement qui m’a incité à se consacrer pour la première fois à l’analyse des opéras de Peter Eötvös. Une décade passée, la création hongroise de Paradise reloaded (Lilith) s’est déroulée à Budapest, Palace des Arts, le 23 janvier 2014, avec l’Orchestre de la Radio Hongroise dirigé par Gergely Vajda, et des solistes de autrichiens de Neue Oper Wien.2

 

Je vais commencer d’un manière très personnelle, peut-être un peu trop, même: Il n’est pas facile d’écrire un commentaire objectif et analytique sur une œuvre sur laquelle on réagit en tombant et en restant en pleurs pendant la deuxième moitié d’un opéra de cent minutes ? ce qui était mon cas en écoutant Lilith. Le rôle le plus riche en nuances émotionnelles et la plus difficile vocalement tout comme dramatiquement est celle de Lilith; et c’était justement l’identification avec son rôle et sa situation, par le cumulus de l’effet très direct de la musique de l’opéra qui m’a apporté une telle sensation cathartique. De la création d’Angels in America j’ai par contre un souvenir tout contraire, révélatrice, mais avec des émotions opposées: joie de vivre, consolation.

 

Seize ans sont passées depuis la création de Trois sœurs en 1998, entretemps: sept opéras de grand format. Entre Angels in America et Lilith se place encore Love and Other Demons (2006-07), puis la version opératique de Lady Sarashina (2007) et enfin, Die Tragödie des Teufels (2010), opéra "comique-utopistique". Tous les trois ans une nouvelle œuvre lyrique donc est née; cela ne peut se faire qu’en ayant un rhytme de travail très serré. Ces années ont apporté pour Peter Eötvös une présence constante au sein du répertoire d’opéra contemporain, une renommée indoutable; mais surtout, de point de vue de la composition, une virtousité dans l’utilisation progressive de ses propres stratégies dramaturgiques, présentes d’ailleurs depuis le Trois sœurs.

 

Elles passent par deux portes, deux points communs dans les trois opéras: le vouloir de restructuration de l’image de l’univers, et la présence des moments de trangression/transcendance, par lesquels des mythologies individuelles se créent autour d’un ou plusieurs personnages: autour de Prior, Sierva, puis Adam (et Eva), le premier couple d’hommes. Ces mythologies apocryphes et personnelles font vivre ? sur un niveau intellectuel et spirituel ? ses structures dramaturgiques: le plan des scènes, la disposition des relations entre les personnages.

 

Une sensibilité à la condition humaine est visible chez lui: une forte sensitivité sociale.  Angels in America, Love and Other Demons and Paradise reloaded sont faites d’après des pièces de théâtre assez politiques. Le spectateur se fait une image d’une époque historique concrète, mais à travers cette image l’on a toujours accès à de question globales, à des métaphores, à une vision apocalyptique. Ce n’est pas un hasard que la pièce de Tony Kushner avait comme sous-titre: ’Le Milleneum approche’. Milleneum, en tant que lieu de restructuration du monde. Le compositeur se fait metteur en scène, comme suite loqique de ses restructurations dramatiques, il se place dans la position de "dieu", quant à l’opéra. Il arrange et réarrange, se permet de mettre en avant certaines détails: il positionne des personnages. Eötvös est très autonome dans ses choix;  par ses techniques dramaturgiques il réssuit de nous montrer sa vision personnelle de la destinée humaine d’un regard spécial, comparable d’ailleurs à la celle de l’œuvre de Wagner. Car c’est là qu’on pouvait découvrir dernièment une telle intensité, un tel vouloir de recréation de l’univers humain. Dans chaque pièce d’Eötvös, l’on se rend compte également d’un fort questionnement et de la non-acceptation des lois actuels de l’univers de création divine. "Ce n’est qu’une approche, ce ne relève pas du style"? dit-il.3

 

La question du style ne se pose qu’en tant que décision secondaire; ce n’est pas le style qui guide le processus de composition, mais le sujet et l’approche visionnaire. Déjà dans Kosmos (1961/99) pièce de piano de jeunesse, ré-écrite à plusieurs reprises, ces mondes personnels sont nés, et l’on voit comment la vision cosmique ou globale du monde s’agrandit, cette fois, avec un souci encyclopédiqe dans Die Tragödie des Teufels et puis, dans Lilith; à des 70 ans du compositeur.

 

Fait connu: dans la période d’après 1998, les œuvres de Peter Eötvös sont nés suite à des commandes, il ne travaille presque pas pour soi-même. J’aurais pu dire: jamais il ne le fait, mais Paradise reloaded constitue l’exception. Au cours des commandes, Eötvös avait la liberté de choisir ses sujets, et c’était lui-même qui s’est donné l’impératif de s’adapter à l’esprit du lieu de la maison d’opéra donné pour laquelle il a conçu l’œuvre lyrique, pour les raisons pragmatiques – "le public doit comprendre..." Actuellement, il a acquéri un tel renommé en tant que compositeur lyrique, que pour le première fois, dans le cas de Die Tragödie, c’est la maison d’opéra (Bayerische Staatsoper) qui a proposé le sujet, en connaissant son caractère de créateur, sa tendance "cosmique", créateur des mondes, ainsi est venu comme proposition le drame d’Imre Madách, La tragédie de l’homme, grand ouvrage classique, longtemps intouchable, mais beaucoup contestée dans ses détails, de la littérature hongroise. Le dramaturge Albert Ostermaier a retravaillé le texte, Eötvös avait, ainsi avec pleine liberté, d’une possibilité de former le vision madáchienne à son goût.

Mais Lilith (Paradise reloaded) est le premier opéra qui était né sans commande, d’une initiative innée du compositeur, et cela nous laisse à présentir quelque chose de tout neuf. Le matériel musical était complètement réécrit après Die Tragödie. Eötvös l’a qualifié de l’adjectif "Volkoper."4 Le matrix dramaturgique de l’œuvre est très clair, la disposition symmetrique des personnages est bien visible. Les 4 personnages principaux disposées dans un quadrat des relations: aux deux extrémités, c’est Lucier et Lilith, deux personnages transcendantes, entre eux: le couple d’hommes. L’avancement de la musique ne laisse pas de place pour se déconnecter, elle est très vive, tracée avec une main sure, et d’une acuité surprenante. Peut-être, Eötvös est maintenant arrivée à une liberté créative totale, guidé par la nécessité intérieure de composer, de retravailler de sujet madáchien, cosmique dans la grandeur, et non plus influencé par les tendances actuelles de l’époque contemporaine, même pas à un degré minimal, ou par les pragmatismes extérieures. Certes, toujours restera-t-il attaché à côté pratique de la performance de se opéras, il est néanmoins très motivant de voir quand les pragmatismes s’ajoutent, tout en restant subordonnées, à des inspirations les plus innées.

 

Dans les trois opéras, la relation de la créature avec son créateur qui est dans le focus. Eötvös se révolte, et donc, restructure. L’on y trouve des éléments bibliques, lesquels ont reçoit déjà souvent transformés, des éléments profanes, des parallèles, des métaphores, et des approches de notre temps, si typiques aux 20ème-21ème siècles. A la fin, tous ces éléments se fondent dans une vision personnelle donnant une direction claire à toutes ces mythologiques individuelles.5

 

Les opéras de Peter Eötvös fonctionnent bien scèniquement; si bien qu’à côté de sa maitrîse des sonorités orchestrales et ses techniques compositionnelles (comme celle des notes centrales6 adaptés à des situations dramatiques concrètes), ses parties vocales écrites d’une manière riche et contemporaine, de temps en temps des moments de creux peuvent apparaître. Dans ces moments ? qui pourraient sembler trivials chez un autre auteur ? moments simples, dénudés, l’effet théâtral cathartique naît. La mort de Roy Cohn, l’avocat diabolique, personnage réel des États-Unis des années ’70. Ethel Rosenberg, son ennemie qu’il a envoyé à mort, lui apparaît en fantome, et chante une berceuse yiddis à son chevet: simple mélodie touchante sur une voix grave, accompagnée d’une seule alto hébétante. Le dernier monologue de Lilith, "simple comme une chanson"7, dans lequel elle parle de son désarroi, femme abadonnée à sa solitude. Le moment final de Sierva María de Todos los Angeles, avant la toute fin du 2ème acte de Love and Other Demons: sur la scène de l’Opéra de Chemnitz8, elle chante des contre mi et fa, tout en étant enfermée dans une cage où elle peut bouger à peine. puis elle meure. L’orchestre l’accompagne presque invisiblement, dans un flux très fin. Épilogue d’Angels in America, orchestre de chambre: avec un motif répété qui se décline vers le bas sur les cordes et l’hautbois, Prior dit: "I want more life". Dans ces moments de chambre, par ailleurs, ses expériences de jeunesse des musiques de scènes font surface, par leur efficacité scénique: souvenirs de chansons, matériau musical enraciné dans la musique populaire hongroise, transsylvanienne. Moments de grande détresse, moments de réconciliation ? la solitude totale de l’Homme au sein de sa destinée.

 

La liberté de ces moments ne pourrait pas naître si toute la structure ne s’y tenait pas, sa veine théâtrale étant là sans doute, et très fortement. Au cours de tout analyse, on arrive à chaque fois à ce point-là: c’est quelques moments essentiels qui forment le centre des événements dramatiques. Justement, pour ces moments qui montrent une personnage au plus clair, dans sa nudité scénique et musicale, que ça vaut la peine voir une pièce de théâtre ou pas. Si l’est, alors cela signifie qu’il nous a donné quelque chose de précieux. Dans le cas d’Eötvös, ces moments sont bien là, pas de doute. Et en plus, la simplicité des matériaux musicaux ne dégrade pas la musique sur le niveau de musique de scène, mais au contraire: la rend vraiment opératique. Dans ces moments, le compositeur-narrateur se révèle avec une sincérité étonnante: c’est la voix d’auteur, sans aucun détournement. Parce que, hélas "Who operates without the self"?9  "Qui peut fonctionner, créer sans le moi?" L’on voit ici la partie la plus personnelle de son style à se dévoiler, par où l’on perçoit aussi son empathie pour l’homme en détresse. Pas étonnant que ce soit fort.

 

Du fait, Eötvös, le créateur-penseur qu’il est, se bat de l’œuvre en œuvre avec des idées dogmatiques de la préconception divine qu’il perçoit pénibles. Et c’est cette bataille qui crée la transcendance si personnelle qui caractérise ses opéras.

 

Il y a toujours des éléments qui questionnent tout, éléments peut-être courageux, impudiques – ce qui peuvent être choquants même au premier regard. Mais, à la suite, et ici je parle tout d’abord de l’expérience de spectateur, marquante, de Lilith, de cette négation foncière une restructuration constructive se créer: par la réordonnance du sujet dramatique ou celle des situations dans le livret, si bien que tout cela devient beau et émouvant en soi; tout en détruisant des barrières, préconceptions, tout vérité historique et toutes dogmatismes. Si le compositeur ne réussissait pas à arriver à un tel résultat, l’on pourrait supposer que Lilith est blasphémique, Angels in America est choquant (homosexualité, pas de relations hétérosexuelles qui fonctionnaient, combat avec des dieux), ainsi que Love and Other Demons (relation amoureuse d’une touche pédofile, interprétation démoniaque de l’église catholique). Il est important de noter que les personnages principaux d’Eötvös sont souvent des personnages de limite. Enfin, l’effet catarthique dans le cas des trois opéras, efface et remplace cette image négative, offre une possibilité de repenser: une vision réstructurante intelligente de l’univers. D’une manière tripartite hegelienne: thèse?antithèse, synthèse, dont déjà Madách était influencé.

 

Au niveau musical, il s’agit de l’intégration  des éléments connus de l’histoire de musique. D’une signalétique personnelle naît  par des Leit-motifs, des citations cachées ou plus visibles dans Paradise reloaded (chorales de Bach, allusions aux personnages mozartiens), ou par l’empreintes du  style de la comédie musicale dans Angels in America, encore par des madrigalismes dans les voix et à l’orchestre tout au long de Love and Other Demons.) Eötvös dit qu’il ne se répète pas.10 Ce n’est vrai qu’en partie, car des éléments techniques de son style et sa pensée restent les mêmes, c’est surtout des détails de mise en ordre et la couleur de la mythologie personnelles propre à chaque opéra qui changent.

Il y avait pour moi un moment en écoutant l’opéra Lilith, quand se sentant bouleversée, attaquée dans mes convictions personnelles, j’ai pensé soudain à quitter la salle. Mais je suis restée, surtout à cause de la qualité des chanteurs et des strates intéréssamment construits du son qui circulient autour de moi, tout comme dans un cinéma dolby-stéréo. La deuxième moitié de la pièce n’a fait qu’être plus intense, de plus en plus envoûtante, pas un ton de trop. Et le changement est arrivé, la fine de l’opéra offrant un sentiments de transcendance, au-delà et à côté de la trangression, du mal le bien est né. C’est d’aillers assez courageux du parler, étant engravé dans la culture chrétienne, d’une figure de diable secondaire, d’une fausse Éva: d’un satan féminin qui souffre elle-même aussi, et de la hausser à la position principale de l’opéra, à la position de l’héroine.

 

Mais on a déjà pu s’habituer à ces croisements de positions chez Eötvös. Le personnage principal de Love and Other Demons, une fillette de treize ans paraît également démoniaque d’un point de vue, mais d’un autre regard, elle est un ange justement ? la décision nous est accordée. Le compositeur, par sa dramaturgie et des couleurs fades de sa musique associée à Sierva, le "son argenté" de l’opéra, nous suggère qu’il ne s’agit pas des traits démoniaques, mais d’un rôle de victime. Sierva n’est pas une figure quotidienne, elle est plutôt surréelle avec ses cheveux roux de treize mètres de longeur. Figure mythisée déjà chez Márquez ? d’ailleurs, sur les Caraïbes, une fillette lui ressemblante, ayant des pouvoirs magiques, est vénérée comme sainte.

 

Eötvös souvent joue avec la notion du démonique, chez lui, les personnages dioclésiens se suivent sur la scène d’un pas vif, plus diaboliques l’un que l’autre dans Love and Other Demons. En tant spectateur, l’on accepte tout naturellement leur caractérisation spéciale grace à la force convictive de sa musique, de la même façon qu’on arrive à croire qu’un ange (féminin) a visité Prior, homme malade de sida. La musique est écrite pour correspondre à chacun d’eux: imitations des cloches d’église, rhytmique agressive, couche musicale décrivant la dépression chez l’Éveque; oscillation entre la fascination démoniaque et la compassion chez la Mère-directrice du cloître, Josefa Miranda, traitement vocal tout extrème des registres et utilisation de la voix de poitrine râlante qui change brusquement en hauteurs, tempi accélérants.

 

Les figures du livret d’Ostermaier sont déjà mythiques. Mais par l’incarnation humaine de Lilith, un triangle amoureux va se dresser entre Adam, Lilith et Eva, le combat entre les deux strates, humain et transcendant, prend ainsi des nouveux couleurs. Il n’y a plus du noir et blanc. Dans le quadrat des personnages du Paradise reloaded, c’est non seulement la vie d’Adam qui est en jeux, mais la vie les autres deux, les démons. Outre les deux figures qui se battent pour avoir Adam (Lilith et Lucifer), l’on sait aussi que Dieu est là au pôle contraire, invisible. Il y a donc une symétrie dramaturgique entre les personnages opposées.

Dans Angels in America, où les hallucinations ne se déconnectent pas tant de le réalité qu’il fallait, Eötvös se tourne avec le naturel d’un enfant vers ces expériences insolites, les intégre dans les scènes réelles, en nous laissant toujours la décision de juger. Entre ciel et terre, toujours. Le partenaire dramaturgique de Prior ici n’est pas son partenaire terrestre, Louis. C’est l’Ange – pôle opposé dans la symétrie des personnages.  Il y a donc une question de poids dans ces dispositions: certains personnages se complètent musicalement et ils ont une importance équivalente, malgré que l’un est réel, l’autre pas. C’est nouveau, car par exemple chez Mozart dans Don Giovanni, le Commandateur n’était encore pas si présent et n’avait pas une telle l’importance sur Giovanni que l’Ange a sur Prior. Les éléments surnaturels sont appréciés déjà par l’opéra baroque, mais Eötvös se base sur eux; il ne les utilise seulement en tant qu’éléments décoratifs, chez lui le contact avec le surnaturel et la mythisation se révèlent essentiels.

Dans Angels in America, l’accent est mis sur le mythe personnel que Prior se crée, en empruntant les mots d’Orshi Drozdik, de la mythologie individuelle.11 L’on part d’un point de vue de l’homme de la rue et on approche la plus large perspective. Quoquoi dans cet opéra, la vision apocalyptique de mondes des anges soit aussi bien mise au focus, c’est fait d’une manière caricaturale, dépréciante.

 

Dans les paraphase madáchiennes, Die Tragödie des Teufels et Paradise reloaded, au contraire, le point de départ est la vision dépersonnalisée du monde – et ce ne pouvait pas être autrement, car Madách décrivait avec minutie les stades et des lieux emblématiques du progrès humain, progrès qui ne mène nulle part. Ici, la dramaturgie se resserre l’histoire autour d’Adam, Eva, Lilith et Lucifer, et Eötvös se focalise sur leurs émotions personnelles. Die Tragödie (d’une durée égale à Lilith, 100 minutes) laissait des horizons plus ouverts. Étant moins centré, cet opéra utilisait une quantité des personnages secondaires, et ainsi, fragmentait d’avantage cette vision.

 

Toutefois, Eötvös reste toujours très conscient des mesurements internes de ses pièces. Sa musico-dramaturgie reste toujours vivante, comme chez Mozart, car elle est capable de donner des traits très humains aux personnages. Dans celà, il suit le modèle de la tradition. Il nous rend proche Adam, Lucifer ou Lilith, ce n’est pas difficile de se mettre à leur place. Cela peut devenir même une expérience tranchante et douloureuse pour le spectateur.

 

De plus, dans Lilith et Angels, on trouve des souvenirs de Wagner. La première fois quand Lilith s’adresse à Adam, elle fait référence aux mots de Kundry: "Tu te souviens?" Prior Walter, tant un Sigfried, a aussi des nobles précurseurs. Ils apparaissent en tant que fantomes au début du 2ème acte. L’on pourrait dire ironiquement que Prior Walter sort tout droit d’une tapisserie de Bayeux, comme son nom le signale; mais au deuxième sens, c’est sa place d’héros qui est assuré par son nom, Prior voulant dire: premier. Tony Kushner fait ici référence au philosophe Walter Benjamin.

Le point principal des trois opéras: l’abilité de décision des personnages est en jeu. Il y a une correspondance entre la passivité et ou l’activité, et la fin tragique ou neutre-positive des histoires. C’est sur cet élément de décision que toutes sortes les relations se tournent, celle de l’Homme avec Dieu, celle de l’Homme avec le Diable, et les relations intra-humaines aussi.

 

Angels in America (2003-04)

Love and Other Demons (2007)

Paradise reloaded (Lilith) (2013)

décisions à faire (Prior, Joe)

décisions: ne sont pas faites,

pas de possibilité de décision (Sierva)

 

décisions à faire (Adam, Eva, et Lilith, Lucifer)

passivité --» Anges, Dieu

activité --» Homme

--» non-acceptation des lois divines,

 

restructuration de la relation homme-divinité,

espérance, „happy end”

 

passivité --» Don Ygnacio, Médecin, Delaura, (Sierva)

 

 

 

 -» pas de restructuration,

 tragédie

passivité --» Dieu, Adam, Anges

activité --» Lilith, Lucifer

décision --» Adam, Eva, Lilith

tragédie personnelle de Lilith

 

--» restructuration du monde

 

êtres et états de transition, relations ange?homme,

fantome?homme

êtres, états de transition

Sierva: obsession démoniaque?)

êtres, états de transition

(anges passifs, impuissants,

Lucifer, Lilith (Satan): de traits humains

au centre: Prior

(l’héros qui se débat contre son sort)

au centre: Sierva

(l’héroine qui se débat, tant elle peut)

au centre: Lilith

(femme-diable, précurseur de toutes les femmes, très humaine dans ses émotions et ses buts)

 

La passivité ou l’activité face à son sort décide tout.  Dans Angels in America, que choisit Prior: accepte-t-il d’être prophète, avoir un sort préscrit, fermé, ou choisit-il la possibilité de ces décisions propres et l’aléatoire? (Oui.) Mythification des figures humaines, démythification du transcendant.

 

Dans Love and Other Demons, qui gagnera, la structure rigide de l’église ou la victime présumée?  Il s’agit du problème du jugement et de la victimisation dans la société, éternelle. La trangression des lois  ? ici, a relation d’une jeune fille avec un prêtre catholique de son aîné ? peut-elle avoir lieu et acceptation? (Non.) Questions de transgression. Et là aussi: mythification des figures humaines (Sierva), démythification de l’église du pouvoir. Individualisation des figures transcendantes: Ange, Satan (Lucifer, Lilith).

 

Paradise reloaded: le démon ici, c’est la femme antérieure d’Adam. Lilith, peut-elle gagner? Non, Paradise reloaded devient de la tragédie de la femme diabolique. Adam, peut-il faire sa vie avec Eva? Oui, certainement. Lucifer, peut-il gagner sur Adam? Non, il n’est pas assez fort en soi, il se suicide (Die Tragödie des Teufels).

 

Le drame de Tchéchov, à la base duquel Eötvös a composé son premier grand opéra en 1998, et avec le succès duquel il est entré brusquement dans le répertoire, était celui de la passivité, d’indécision: des Trois sœurs. De là, il est maintenant arrivé à quelque chose de différent: au drame du diable, à la jubilation de l’Homme. A un nouveau point de vue cosmique sur la création: vue restructurée de l’univers. Kosmos restructuré.



  1. Megyeri, Krisztina, Dramaturgie des Anges. Temporalité, identité et la place du corps dans Angels in America de Peter Eötvös. Mémoire Masters2 (DEA), Université Paris-VIII, Saint-Denis, 2006.
  2. L’opéra était créé à Vienne le 2 octobre 2013, par Neue Oper Wien.
  3. Peter Eötvös, in: Hollós, Máté, „M?vek bontakozóban. Eötvös Péter: Az ördög tragédiája.” Muzsika, mars 2010,  p.27.
  4. Farkas, Zoltán, „Szerelemr?l és ugyanazon démonokról. Eötvös Péter: Paradise reloaded (Lilith)”, in: Muzsika, mars 2014, pp.18-21.
  5. L’expression vient d’Orshi Drozdik.
  6. La technique de notes centrales, notes ou intervalles qui caractérisent certaines personnages tout au long de l’opéra est utilisé dans Angels in America et Love and Other Demons. Voir: Megyeri, Krisztina, Dramaturgie des Anges, mémoire DEA, „Partie III, Dramaturgie,” et: Megyeri, Krisztina, Eötvös Péter Love and Other Demons cím? operájának dramaturgiája és kifejez?eszközei. Thèse doctorale, Budapest, Liszt Ferenc Zenem?vészeti Egyetem, 2013.  „III. : Dramaturgie”.
  7. Farkas, Zoltán, ibidem.
  8. Peter Eötvös: Love and Other Demons, création allemande. Opera Chemnitz, 2009.01.31.
  9. Drozdik, Orshi, „Conversation between Orshi Drozdik and Patrick MacGrath”, in: Orshi Drozdik, Adventure and Appropriation 1975-2001. Ludwig Museum, Budapest, 2002, pp. 56-57.
  10. Peter Eötvös, in: Hollós, Máté, ibidem.
  11. Drozdik, Orsolya, Individuális mitológia. Konceptuálistól a posztmodernig. Gondolat Kiadó, Budapest, 2006.